Sacha Guitry - Deux Couverts
Pelletier & Jacques
Pelletier & Jacques
Fichier Détails
Cartes-fiches | 50 |
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Langue | Français |
Catégorie | Littérature |
Niveau | Autres |
Crée / Actualisé | 24.11.2017 / 24.11.2017 |
Lien de web |
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PELLETIER
Ne crie pas, c’est inutile !… Je n’ai pas l’intention de t’empêcher de profiter de la vie !
Est-ce qu’on peut profiter de la vie, quand on travaille !
PELLETIER
Oh ! Oui, petit malheureux !
Mon intention est d’interrompre dès aujourd’hui, mes études !
PELLETIER
Ton intention ! ! !
Oui !
PELLETIER
Oui, eh ! bien, ma volonté à moi est que tu les termines comme je l’entendrai !
Mais, Papa, laisse-moi t’expliquer…
PELLETIER
Non, assez ! À moi de parler maintenant !… J’ai vu le fond de ta pensée, et tu m’as fait connaître ton intention ! Tu n’as rien à m’expliquer. Tu vas maintenant connaître ma pensée et ma décision I… Si tu dois avoir un jour du génie, mon enfant, ton baccalauréat n’en empêchera pas l’éclosion… mais si toute ta vie tu dois rester un cancre, tu auras du moins la possibilité d’entrer aux Postes et Télégraphes, étant bachelier ! (Temps.) Si par malheur, tu refusais d’obéir, je me séparerais de toi ! (Un temps.) Ainsi, j’ai passé quinze années de ma vie à me priver de bi en des choses pour te donner une éducation aussi forte que ma tendresse, et voilà le fruit de mes peines !… Est-ce que tu te rends compte de ce que j’ai fait pour toi ?…
Oui, quoi… tu as…
PELLETIER
Oh ! Non, ne me dis pas que j’ai fait ce qu’ont fait les autres pères.
Tu t’es privé ?
PELLETIER
Oui… mais tu ne t’en es jamais aperçu !… Nous ne sommes pas si riches que tu crois !… Nous ne sommes pas riches. Tu es très élégant… tu t’habilles très bien… moi, c’est tout fait !… Je ne me plains pas… je l’ai voulu… et je ne le regrette pas encore… Ah ! Mon petit bonhomme, tu ne t’es rendu compte de rien !… Ta mère est morte deux ans après ta naissance… il y a quatorze ans de cela, comprends-tu ?
Quoi ?
PELLETIER
Quoi ?… J’avais trente-six ans, mon petit, et j’en ai cinquante, à présent ! J’étais jeune… je ne le suis plus !… J’ai vieilli pour toi… je me suis consacré entièrement à toi !… Écoute bien… deux fois j’ai dû me remarier… la première fois, tu étais trop petit… la seconde fois, tu étais trop grand… Penses-y de temps en temps !…
(Un temps.)
(regarde la pendule et se lève.)
Au revoir. Papa…
PELLETIER
Quoi ?
Au revoir. Papa !
PELLETIER
Où vas-tu ?
Je dîne chez Mareuil… et il est sept heures et demie…
PELLETIER
Ah ! Tu dînes chez Mareuil…
Oui, Papa… ça t’ennuie ?
PELLETIER
Du tout, mon enfant, du tout… c’est tout naturel… ça doit être sûrement naturel !
Et toi ?
PELLETIER
Moi ?… Oh ! Mon petit, ça se trouve bien… je ne dîne pas seul !
Ah !
PELLETIER
Oui… regarde toi-même ! (Il ouvre la porte de la sa lle à manger.) Tu vois !… Tu peux lire le menu… tu vas voir que je ne dîne pas seul ! D’ailleurs… regarde… deux couverts !…
(vexé.)
Au revoir. Papa… à demain…
PELLETIER
À demain, mon petit… (Jacques embrasse son père et sort.) Et il me fait la tête !
(Et après avoir pensé qu’il pourrait peut-être téléphoner à Madame Blandin — et, après y avoir renoncé. Pelletier entre dans la salle à manger, en disant :)
Émile, vous pouvez servir !
RIDEAU
PELLETIER
Elle peut les mettre !… Allez ouvrir.. enfin !… C’est toi ?…
Oui, Papa !
PELLETIER
Eh ! Bien ?
Recalé !
PELLETIER
Oh !… Embrasse-moi tout de même !
(Jacques embrasse son père.)
PELLETIER
Mon pauvre petit !… Oh !… Et… quand l’as-tu su ?
Que j’étais recalé ?
PELLETIER
Oui…
À… cinq heures et demie,
PELLETIER
À cinq heures et demie ?
Oui, Papa…
PELLETIER
Oh ! Ce n’est pas possible ?
Mais si, Papa, pourquoi ?
PELLETIER
Oh !… Tu sais l’heure qu’il est ?
Oui, il doit être six heures…
PELLETIER
Non, mon petit, non… il est sept heures cinq !… Et j’attends depuis quatre heures !
Je te demande pardon, Papa.
PELLETIER
D’où viens-tu ?
Je… j’ai été… heu…
PELLETIER
Où as-tu été ?
J’ai été avec des camarades…
PELLETIER
Oui, mais, où… où as-tu été ?
Nous avons été prendre quelque chose…
PELLETIER
Vous avez été prendre quelque chose ! ! ! C’est superbe ! Et tu n’as pas pensé à moi… tu ne t’es pas souvenu que j’attendais ici le résultat…
Si, Papa… mais le temps a passé si vite !
PELLETIER
Je ne trouve pas ! (Un temps.) Assieds-toi, ne reste pas debout. Et, pourquoi as-tu été recalé ?
Ils m’ont posé des questions stupides !
PELLETIER
Ça m’étonne ! Peut-être t’ont-elles semblé stupides parce que tu les ignorais !… Quelles sont les questions auxquelles tu as mal répondu ?
D’abord, il m’a posé en histoire une question que je n’avais jamais étudiée…
PELLETIER
À qui la faute ?
Alors, comme je n’ai pas su répondre… il a fait le malin, et il m’a demandé sur un ton vexant si je savais au moins quel avait été le héros de la bataille d’Arc…
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